Enfance: l’APN vote sur la voie à suivre après le rejet de l’accord de 47 milliards $
OTTAWA — L’équipe de direction de l’Assemblée des Premières Nations (APN) se réunira dans les prochains jours pour discuter de la manière de procéder pour les nouvelles négociations sur une entente de réforme du programme de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, après que les chefs ont voté contre l’accord de 47,8 milliards $ proposé par le gouvernement lors d’une réunion à Calgary jeudi.
La cheffe nationale de l’APN, Cindy Woodhouse Nepinak, qui a aidé à négocier l’accord et a fait pression pour qu’il soit approuvé, a été franche dans son évaluation du résultat dans ses remarques de clôture à l’assemblée spéciale des chefs, vendredi.
«Nous reconnaissons également le succès de la campagne qui a fait échouer cette résolution. Vous avez parlé avec passion et vous avez convaincu la majorité de voter contre cet accord national de 47,8 milliards $», a déclaré Cindy Woodhouse Nepinak dans son discours de clôture, à la fin de l’assemblée spéciale des chefs, à Calgary.
«Il est indéniable que cet accord constituait une menace trop importante pour le statu quo de l’industrie qui s’est construite en séparant les enfants des Premières Nations de leurs familles.»
La directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, qui a contribué à lancer une action en justice pour discrimination contre le Canada qui a mené à l’accord, a dit que «c’est une caractérisation malheureuse de la façon dont les chefs examinent l’accord avec leurs propres experts et leur propre personnel juridique et prennent une décision éclairée qui leur convient le mieux».
«Je respecte la cheffe nationale et j’ai hâte de travailler avec elle et tout le monde pour m’assurer que nous franchissons la ligne d’arrivée», a ajouté Cindy Blackstock.
Des inquiétudes non dissipées
L’accord rejeté a été conclu entre le Canada, les chefs de l’Ontario, la nation Nishnawbe Aski et l’Assemblée des Premières Nations en juillet, après une bataille juridique de près de deux décennies concernant le sous-financement par le gouvernement fédéral des services de protection de l’enfance dans les réserves.
Le Tribunal canadien des droits de la personne a déclaré que cette entente était discriminatoire, car elle signifiait que les enfants vivant dans les réserves recevaient moins de services que ceux vivant hors réserve.
Le Tribunal a chargé le Canada de conclure un accord avec les Premières Nations pour réformer le système et également d’indemniser les enfants qui ont été arrachés à leurs familles et placés en famille d’accueil.
L’accord de 47,8 milliards $ devait couvrir 10 ans de financement pour que les Premières Nations puissent prendre le contrôle de leurs propres services de protection de l’enfance du gouvernement fédéral, créer un organisme pour traiter les plaintes et réserver des fonds pour la prévention, entre autres.
Avant l’annonce de l’accord en juillet, trois membres de l’équipe de direction de l’APN ont écrit des lettres à la cheffe nationale pour lui dire qu’ils craignaient que l’accord ne soit négocié en secret et ont demandé un changement de cap. Ils ont également déclaré que l’APN tentait d’écarter la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations des négociations.
Ces inquiétudes sont restées en grande partie d’actualité lorsque l’accord a été annoncé lors d’une réunion à huis clos durant la dernière assemblée de l’APN, les chefs se demandant comment les réformes fonctionneraient sur le terrain et les prestataires de services affirmant que leurs niveaux de financement seraient considérablement réduits, ce qui aurait un impact sur leur capacité à faire leur travail efficacement.
Mme Blackstock a trouvé le soutien de 267 des 414 chefs qui ont voté contre une résolution demandant l’approbation de l’accord.
Elle a souligné à plusieurs reprises au cours de l’assemblée que l’accord n’allait pas assez loin pour protéger les enfants des Premières Nations contre la discrimination et a dit aux chefs qu’elle ne pouvait pas approuver l’accord tel qu’il est.
«Je veux voir un jour où nous mettrons fin à la discrimination et où elle ne se reproduira plus – et nous pouvons y arriver», a soutenu Cindy Blackstock à l’assemblée jeudi.
«Pas dans longtemps; nous avons tous les outils pour y arriver.»
La cheffe Woodhouse Nepinak a souligné mercredi et jeudi qu’un changement de gouvernement pourrait remettre en question les réformes, tandis que Mme Blackstock a souligné que les réformes sont requises par un ordre juridique, et non par une volonté politique.
Deux propositions de résolutions
Le président de la nation Squamish, Khelsilem, a affirmé que certaines des déclarations équivalaient à de la «propagande de peur».
«C’est une leçon pour l’Assemblée des Premières Nations, pour le personnel et les juristes, pour les conseillers, pour le titulaire du portefeuille qui a travaillé sur cet accord», a-t-il continué en présentant, vendredi matin, une résolution demandant un nouveau mandat de négociation. «La façon dont nous en sommes arrivés là n’était pas celle dont nous aurions dû procéder. Il existe une meilleure façon d’avancer.»
Sa résolution, ainsi qu’une autre de la défenseuse de la protection de l’enfance et cheffe par procuration de la Première Nation Skawahlook, Judy Wilson, demandaient la création d’une commission des chefs pour les enfants composée de dirigeants de toutes les régions du pays pour négocier un nouvel accord et assurer la surveillance, ainsi que la création d’une nouvelle équipe juridique.
Elle demande également que les chefs disposent d’au moins 90 jours pour examiner un accord avant de voter sur celui-ci, le document devant être rendu disponible dans les deux langues officielles.
Khelsilem a précisé que le nouveau mandat de négociation a été élaboré avec une cinquantaine de dirigeants de tout le pays. Il a dit espérer qu’il ouvrira la voie à une solution positive, dans l’intérêt supérieur des enfants pris en charge, après une assemblée spéciale des chefs assez tendue. Il a également assuré que le nouveau mandat corrigera les «défauts» soulignés par les chefs de tout le pays et garantira une plus grande transparence.
«Nous n’aurions pas dû nous retrouver dans une situation où nous devions rejeter un accord défectueux et ensuite créer une orientation pour pouvoir remettre les choses sur les rails», a-t-il expliqué aux chefs.
«Nous n’aurions pas dû être ici si le processus utilisé pour créer l’accord de règlement final était un processus significatif qui respectait et consultait de manière significative les Premières Nations, qui permettait un dialogue significatif pour améliorer cet accord.»
Dans un communiqué, un porte-parole du ministre des Services aux Autochtones a indiqué que le Canada avait travaillé en étroite collaboration avec les Premières Nations sur cet accord, de même que pendant qu’il était en cours de modification.
«L’accord que les chefs, réunis en assemblée hier, ont rejeté est le produit final de ces négociations serrées», a rappelé Jennifer Kozelj. «Le Canada demeure déterminé à réformer le programme de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations afin que les enfants grandissent en sachant qui ils sont et à quel endroit ils appartiennent.»
Mme Blackstock a déclaré que la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, ou le premier ministre Justin Trudeau, auraient dû être présents à la réunion de Calgary s’ils avaient respecté l’accord.
Dans une déclaration vendredi, l’Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador a déclaré qu’elle était reconnaissante du travail accompli jusqu’à présent, mais que les chefs devaient travailler ensemble pour modifier l’accord afin qu’il respecte la diversité des communautés et élimine la discrimination systémique.
«En tant que chefs, nous avons la responsabilité sacrée de protéger nos enfants et nos familles pour les sept prochaines générations», a rappelé le chef régional par intérim Lance Haymond.
Cindy Blackstock affirme que, même si l’accord a été rejeté, cela ne signifie pas qu’ils repartent de zéro.
«Nous avons tellement de choses sur lesquelles nous pouvons nous appuyer, y compris le projet d’accord de règlement final», a-t-elle souligné. «Il s’agit d’une réinitialisation pour garantir que tous les enfants des Premières Nations réussissent.»