Quand des politiques entravent des solutions d’hébergement

COMMUNAUTÉ. Les 33 dernières années n’ont pas été de tout repos pour des parents qui ont un jour décidé de trouver une alternative afin d’héberger autrement leurs filles handicapées intellectuelles. Mais c’était sans compter les changements fréquents de règlements, de programmes gouvernementaux et d’administration au sein du CIUSSS de l’Estrie.

L’idée de base était de leur offrir l’opportunité de vivre leur vie adulte dans une maison qu’elles pourraient appeler siennes et développer une certaine forme d’autonomie. Souhaitant qu’elles se sentent chez elles et non dans un centre d’hébergement ou une famille d’accueil, un comité a donc été formé par des parents et des familles pour faire l’ébauche d’un modèle qui rendrait cette vision possible. L’Association pour l’intégration en résidence de l’Estrie (AIRE) est ainsi née. 

Au fil des décennies, l’organisme a été en mesure d’ouvrir quatre maisons, dont trois à Sherbrooke, offrant un milieu de vie à des femmes d’âge adulte ayant une déficience intellectuelle. Des personnes-ressource habitant sous le même toit que les quatre résidentes, assurent une supervision et un encadrement au quotidien. 

ESPÉRER DE LA STABILITÉ, OBTENIR DE L’INCERTITUDE

Réal Turcotte s’est impliqué à l’entrée de sa propre fille dans l’une de ces maisons. Il a été le témoin de moults changements dans l’appareil gouvernemental québécois, ce qui a donné lieu à des volte-face, des décisions arbitraires et surtout de l’incertitude. Particulièrement en ce qui a trait au financement nécessaire au fonctionnement et à l’organisation des maisons. À ce jour c’est le statut de l’association qui semble être le point d’achoppement.

Alors que le CIUSSS de l’Estrie octroyait une subvention récurrente pour couvrir les salaires des personnes-ressource qu’il supervisait depuis de nombreuses années, on leur annonçait en 2019 l’arrêt complet de ce financement. Cela voulait aussi dire que les personnes-ressource devenaient les employés de l’AIRE du jour au lendemain. Ce changement implique d’avoir à se soumettre aux normes de la CNESST pour des hébergements qui n’ont pas été organisés avec cette réglementation en tête.

« Ça a pris plus de deux ans de brasse-camarade pour trouver une voie de passage et obtenir une formule qui soit acceptable et que nos personnes ressource, reçoivent un salaire similaire à celui d’avant ces coupures. On n’est pas là pour faire des sous, puisque l’AIRE est une OBNL; on veut seulement que nos filles soient bien et qu’elles aient le meilleur service possible « , explique M. Turcotte.

QUAND LA FORME PREND LE DESSUS SUR L’ESSENTIEL

Ces bouleversements fréquents ont pour effet de forcer les C.A. de chaque maison à constamment réévaluer, renégocier et défendre l’existence même de la formule. Pour plusieurs membres, le manque de flexibilité qu’apportent ces technicalités administratives et par le fait même, une fin possible à cette initiative, est angoissante.

 » Nous ne sommes pas capable de dormir sur nos deux oreilles. Il n’y a pas de modèle existant pour l’hébergement de ces personnes et quand on en propose un, c’est toujours remis en question « , s’exaspère M. Turcotte. Quand ce n’est pas le CIUSSS, c’est la SHQ (Société de l’habitation du Québec) qui nous demande toutes sortes de contrôles invraisemblables; en plus d’une nouvelle loi du travail qui commence à peser lourd sur nos services « . 

L’incompréhension est d’autant plus grande qu’il est beaucoup moins coûteux pour l’État de soutenir ce type d’hébergement, plutôt que de placer les personnes vivant avec un handicap intellectuel en institution. Plusieurs de ces jeunes adultes se trouvent présentement en CHSLD, faute de place, alors qu’ils ont des besoins très différents des personnes âgées.

« On se dit : « C’est quoi l’avenir de nos filles si on les retire de nos maisons et qu’on les place Dieu sait où? » On est à la merci du bon vouloir des instances de décision. Je me rends compte que plus je vieillis, plus ça m’inquiète », ajoute cet ancien directeur d’école.  

Les prochaines années seront donc déterminantes pour l’AIRE et ses maisons, mais aussi pour celles qui les habitent.  » Et en passant; on a deux places de disponibles si jamais des parents cherchent un endroit humain et accueillant pour leur fille adulte. Ça peut aussi nous aider à prouver que ça comble un besoin et qu’il s’agit d’une solution à laquelle on croit « , conclut Réal Turcotte.