Les entreprises de tabac seraient peu susceptibles de changer leur modèle d’affaires

Les experts en politique sur le tabac affirment que, sans pression supplémentaire, les grandes entreprises ne sont pas susceptibles de changer leurs modèles d’affaires vers des alternatives moins nocives, malgré un projet de règlement conclu qui verrait trois géants de l’industrie verser des milliards de dollars aux fumeurs et à leurs familles.

En vertu d’un nouveau projet d’accord déposé au tribunal jeudi, JTI-Macdonald, Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco Canada paieraient 24,8 milliards $ aux gouvernements provinciaux et territoriaux.

Plus de 4 milliards $ iraient aux membres des actions collectives du Québec et 2,5 milliards $ supplémentaires seraient versés aux fumeurs d’autres provinces et territoires qui ont reçu un diagnostic de cancer du poumon, de cancer de la gorge ou de maladie pulmonaire obstructive chronique entre mars 2015 et mars 2019.

Les trois fabricants de tabac verseraient également plus de 1 milliard $ à une fondation pour lutter contre les maladies liées au tabac.

Mais Michael Chaiton, professeur à l’Université de Toronto, qui étudie le tabac et la dépendance, affirme que l’accord n’incite pas les entreprises à abandonner les produits du tabac qui continuent de générer leurs profits.

«La leçon à tirer de ces poursuites est que les cigarettes (…) ne devraient pas être un produit de consommation rentable et qu’il existe des alternatives», a-t-il déclaré.

«Fonctionnellement, je pense qu’une partie de l’accord protège les entreprises pour leur permettre de continuer à vendre ces produits en particulier, plutôt que de vendre à d’autres produits.»

Il affirme que les principaux acteurs de l’industrie ont maintenu leur volonté ces dernières années de promouvoir les produits à base de tabac et de lutter contre les réglementations proposées qui freineraient leur utilisation, malgré l’offre d’alternatives telles que les cigarettes électroniques.

«Nous n’avons pas vu un grand nombre de personnes qui fumaient des cigarettes passer à ces produits, a-t-il affirmé. Le pourcentage important de personnes qui utilisent des produits de vapotage sont des personnes qui n’ont jamais fumé de cigarettes du tout. Ce n’est donc pas vraiment une question de santé publique.»

Les trois sociétés ont demandé la protection face à leurs créanciers en Ontario en 2019 après que le plus haut tribunal du Québec a confirmé une décision leur ordonnant de payer près de 15 milliards $ dans le cadre de deux actions collectives.

Entre déception et comparaisons

David Hammond, professeur de santé publique à l’Université de Waterloo, s’est dit déçu que l’accord proposé n’oblige pas les entreprises à adopter des réformes affectant leurs modèles commerciaux.

«Leurs pratiques commerciales n’ont essentiellement pas changé et ne changeront pas», a dit M. Hammond.

«L’industrie génère toujours des milliards de profits grâce aux cigarettes, et je pense donc qu’elle continuera les pratiques qui ont généré ces revenus.»

Il a affirmé que les revenus de l’industrie provenant des cigarettes ont en fait augmenté au cours de la dernière décennie, car les entreprises ont adopté des augmentations de prix «agressives». Confrontées aujourd’hui à des milliards de dollars de dommages et intérêts, il est peu probable que les entreprises abandonnent progressivement leurs produits les plus rentables, a affirmé M. Hammond.

«Si elles essaient de trouver des moyens de payer ces règlements, eh bien, au moins, cela les incite encore plus à augmenter ces revenus.»

Jacob Shelley, codirecteur du laboratoire d’éthique, de droit et de politique de la santé à l’Université Western de London, en Ontario, a déclaré que cette affaire a de vastes implications pour d’autres industries au-delà du tabac qui fabriquent des aliments ou des boissons qui peuvent causer des dommages.

«En fin de compte, nous avons un tas de produits actuellement sur le marché pour lesquels les mêmes obligations de fournir des avertissements sur les risques qui découlent de leur utilisation existent», a dit M. Shelley.

«Nous savons que l’alcool est cancérigène. Nous connaissons les risques, mais nous savons aussi que les consommateurs n’en sont pas conscients. Nous savons qu’ils ne sont pas conscients des risques de cancer.»

M. Shelley a ajouté que le même principe juridique s’applique à des produits tels que les boissons énergisantes à forte teneur en caféine et les boissons sucrées.