Fanny ou le nécessaire dialogue entre les générations

THÉÂTRE. Le théâtre du Double Signe présente l’adaptation québécoise de la décapante pièce Fanny, commandée à l’origine par une compagnie française à l’autrice Rébecca Déraspe. La prémisse : deux femmes de générations différentes partageront leurs réalités, leurs valeurs et leurs visions de la société. En résultera une transformation profonde pour l’une comme pour l’autre.

C’est de la grande visite qui foule actuellement les planches du théâtre Léonard-Saint-Laurent cette semaine. La formidable Marie-Thérèse Fortin tient le rôle titre de cette co-production, réalisée avec le Théâtre du Bic, dans le Bas-du-Fleuve. Elle donne la réplique à Doriane Lens-Pitt, qui incarne Alice, une étudiante à la langue bien pendue.

Fanny est une sexagénaire qui a une vie confortable et tranquille avec son amoureux. Le couple sans enfant décide un jour d’ouvrir leur porte à une jeune universitaire, Alice. Cette dernière est tout sauf tranquille et docile. Elle n’hésite pas à exposer son point de vue, parfois dérangeant, souvent confrontant face à une Fanny qui va voir ses certitudes ébranlées.

« C’est une femme qui, en son temps, a vécu un féminisme différent de celui de la petite. Être féministe dans les années ’70 et l’être aujourd’hui, c’est deux choses. Fanny, qui est dans la soixantaine, s’ennuie un peu ; elle se demande de quoi elle a envie maintenant, quelle est la suite de sa vie ? Si on n’est pas une travailleuse, si on n’est pas une mère, qu’est-ce qu’on est ? » explique Mme Fortin.

Elle ajoute qu’au Québec, les divergences de point de vue sont trop souvent montées en épingle et que cela empêche un réel dialogue et une véritable écoute entre les protagonistes.

« Le rôle du théâtre est de ne pas toujours être dans le consensus et de provoquer une forme de choc électrique qui nous force à réfléchir et à voir les choses autrement. On doit alors se repositionner sur des idées qu’on a sur la société et le monde tel qu’on le vit, chacun dans notre région, dans notre famille ou dans notre vie personnelle », remarque Marie-Thérèse Fortin.

Les échanges entre les deux femmes ne font pas que bouleverser la perspective de Fanny ; Alice découvre à son tour que d’autres points de vue sont valables selon la réalité de chacune. La fougue de la jeunesse et l’expérience devenue sagesse deviendront alliées à force de se côtoyer.

« Cette rencontre est pour moi le cœur de la pièce et c’est ce que je trouve le plus émouvant, raconte Doriane Lens-Pitt. On déploie des idéaux à mesure qu’on avance dans la vie, mais il faut trouver une zone où on reste en évolution malgré le fait qu’on n’opère pas de la même façon. C’est sûr qu’on va avoir des différends, on n’a pas le même background historique, ni les mêmes peurs. On n’est pas nés dans le même contexte et des personnes plus âgées peuvent être les gardiennes de cette mémoire pour éviter que les schémas se répètent. »

Les comédiennes concèdent avoir eu à réfléchir sur leurs propres perceptions du rapport entre ces générations. « On a tous une part d’idéal et une part d’affect, et c’est comme un jeu entre ces deux pôles. Pour nos personnages, c’est de voir comment chacun réfléchit, puis décide d’agir en cohérence avec ce qu’il veut, même si c’est parfois contradictoire », concède Doriane Lens-Pitt.

« J’ai appris à me laisser atteindre par les jeunes, à ce qu’ils soulèvent ; leurs récriminations, leurs revendications. De me rendre plus disponible à leur point de vue et de ne pas me mettre dans une position de jugement, ajoute Marie-Thérèse Fortin. Je pense qu’il faut que tout le Québec voit cette pièce ; l’autrice traite le sujet avec tellement de santé. Ça ferait du bien à pas mal de gens d’y assister », conclut cette dernière.

Mentionnons que l’adaptation québécoise de la pièce découle d’une commande fait à l’autrice par un théâtre français. 

Fanny est présentée au Théâtre Léonard-Saint-Laurent du Séminaire de Sherbrooke, du 9 au 26 octobre.